« MERCI QUI ? MERCI JACQUIE & MICHEL... » VRAIMENT ?
PAR LOÏC H. RECHI - PHOTOS PAR PAUL ARNAUD
Installé dans le panorama porno du amateur depuis quinze ans, le site Jacquie et Michel a réussi l’exploit rare de s’extirper des tréfonds des Internets inavouables pour s’imposer comme une référence pop-culture qui fait rire entre amis. Mais derrière l’aspect potache de la marque, c’est l’ombre d’une machine à la cadence de production infernale qui se dessine. Entre génie entrepreneurial et condition féminine piétinée avec les deux pieds, voyage dans un univers où l’idée que la boulangère du coin est peut-être la pornstar de demain n’a rien de saugrenue.
C’est le même rituel tous les week-ends. Le chauffeur de la navette du Showbiz, la grosse boîte de nuit du coin, contrôle les cartes d’identité de la dizaine de gamins à peine majeurs qui se pressent devant la portière arrière. Chaque vendredi et samedi soir, l’utilitaire enchaîne les allers-retours entre le parvis de l’hôtel de ville de Limoges et le parking du club niché à Condat-sur-Vienne, à quelques dix kilomètres au sud de là, dans l’une de ces zones périurbaines sans charme qui émaillent tout le territoire national. La brochette d’adolescents déjà installée est légèrement alcoolisée, prête à en découdre avec la nuit et ses tentations. Quentin et Christopher, deux petits gars de 18 ans, arborent la même coupe de cheveux générationnelle popularisée par quelques lascars de l’équipe de France de football. Rasés sur les côtés et une touffe indistincte bétonnée au gel sur le dessus. Comme la dizaine de petits coqs en pattes qui les accompagnent, ces deux-là sont des habitués du Showbiz et les porte-étendards de cette France qui passe tous ses week-ends dans des boîtes de nuit aseptisées à siroter des mauvais whisky-coca, mus par l’espoir que par un mécanisme dont personne ne maîtrise totalement tous les facteurs, ils seront suffisamment volubiles et adroits pour lever une petite poule. Mais habitués ou pas, l’événement de ce vendredi soir morne et glacial de février revêt un caractère un peu particulier. Christopher, avec sa petite voix, alpague la petite troupe qui occupe désormais chaque siège de la camionnette. « Soirée Jacquie et Michel, les gars ! Bon, faut pas que ça parte en couille hein ! »
Les prénoms exceptés, Jacquie et Michel n’ont rien à voir avec la mère et le fils Sardou. Rien à foutre de la mauvaise chanson à texte, le truc du duo, c’est un triomphe sans égal dans l’univers porno amateur franchouillard. Chacune des vidéos diffusées sur leur site explose les deux millions de vues au minimum. Une réalité que Michel Sardou, star d’un temps où l’Internet n’existait pas, ne connaîtra probablement jamais de son vivant, « Les Lacs du Connemara » mis à part. Jacquie et Michel, si tant est qu’ils existent vraiment, sont devenus l’un des couples les plus emblématiques de l’Internet français des années 2010. La référence a largement dépassé le cercle des initiés et peut sans rougir prétendre à l’adjectif « populaire ». Ils le doivent en grande partie à un watermark sonore devenu culte et matraqué à longueur de vidéo : « On dit merci qui ? Merci Jacquie et Michel. » Dans tout ce qui peut concentrer un tant soit peu de testostérone, la rue les soirs d’ivresse, les humoristes graveleux sur les plateaux-télé, les pompiers, les flics, les rugbymen, les confréries de motards ou les clubs de football de division d’honneur, le « Merci Jacquie et Michel » est devenu une référence inévitable. On la scande à toutes les sauces, réhabilitant presque le plaisir de dire merci juste pour le plaisir d’y accoler les prénoms des deux pornographes.
Jacquie et Michel est devenu un phénomène de société autant pour son slogan imparable que parce qu’il est le premier porno dont vous êtes le héros. Enfin, dont votre voisine est l’héroïne plutôt. À 95%, l’expérience des actrices se cantonne aux films cochons réalisés au sein du domicile conjugal. Regarder une scène sur le site de Jacquie et Michel, c’est vous exposer au risque de tomber sur votre mère, votre ex, votre sœur, votre boulangère ou votre collègue de bureau. Les hommes, eux, sont réduits au rang de faire-valoir grossier. Si le succès de ce site qui flirte avec les cinq millions de visiteurs par mois repose sur une multitude de facteurs, l’une de ses forces vient avant tout de la longévité de la marque.
LES FONDATIONS DU TEMPLE
Avant de devenir un lieu de diffusion de vidéos exclusivement produites par Jacquie et Michel, cette plateforme a longtemps été le site de référence de tous les libertins et exhibitionnistes de France. Entre 1998 et 2007, des dizaines de milliers d’individus ont abreuvé la boîte mail de Jacquie et Michel de leurs photos les plus coquines, rivalisant d’ingéniosité pour présenter des mises en scène et jeux toujours plus poussés, des trios, des carrés, des gang bangs, ouvrant leur intimité au plus grand nombre. À une époque où la notion de Web participatif n’avait même pas été théorisée et où les débits minables excluaient toute possibilité de regarder des vidéos en ligne, Jacquieetmichel.net et sa profusion de clichés a fait office de phare dans la nuit de l’Internet libertin français. En 2006, dans un livre intitulé Avis aux amateurs, le journal de Jacquie et Michel, Michel, avec huit ans de recul sur son œuvre, décryptait déjà parfaitement le succès de son site. « Fréquenter les couples libertins coûte cher. Si l’admission [aux clubs, ndlr] est parfois gratuite pour les couples qui acceptent de se rendre dans les soirées trios, se livrant ainsi aux regards et à la concupiscence d’un essaim d’hommes seuls, le régime général est autrement plus salé. [...] Quant à nous, nous avons trouvé le meilleur moyen de n’avantager ni de ne léser personne en instaurant dès nos débuts ce principe de gratuité totale et parfaite.» Et l’érection de la gratuité comme principe inaliénable ne tarde pas à séduire le plus grand nombre. À côté de cela, les intuitions de Michel finissent de parachever le succès du site. Il l’inscrit dans tous les annuaires web et opère une sélection drastique parmi les productions qu’on lui propose. Conscient que c’est le quotidien, le réel, qui fait bander l’internaute, il distille ses conseils en privé, incite les utilisateurs à ne pas trop ranger chez eux et à laisser traîner leurs chaussettes sales, manière de donner à l’internaute le sentiment jouissif de pénétrer chez le sujet de leur désir. Et en point d’orgue de cette œuvre qui pose déjà tous les jalons du triomphe de la version actuelle de Jacquie et Michel, un watermark – écrit cette fois – est apposé sur chaque photo. Nul ne peut alors ignorer l’origine de ces petites merveilles, quand bien même elles seraient piquées et republiées ailleurs.
QUAND MIMI RENCONTRE JACQUIE
Ce livre co-signé par Michel – dont la signature de Jacquie est étonnamment absente – est un document précieux. Il constitue l’une des très rares prises de parole publique d’un des deux membres du couple. La seule de cette ampleur. D’eux, on ne sait pas grand-chose. Du côté de la maison mère, tout juste concède-t-on que « Jacquie et Michel approchent la cinquantaine et sont très discrets », avant d’écarter toute possibilité d’entretien, au motif que le duo « joue sur le mystère ». Quelques recherches élémentaires permettent de découvrir qu’ils vivent dans la région toulousaine et possèdent plusieurs sociétés dont les comptes ne sont pas publiés. De sources sûres, on sait aussi qu’il s’agit d’un couple d’instituteurs qui, comme des milliers d’autres Français, ont trouvé un exutoire dans l’explosion d’Internet. C’est en tout cas dans ce foutu ouvrage de propagande assez confidentiel que l’on en apprend le plus sur le couple, même s’il ne fait aucun doute qu’il laisse la part belle à l’écriture d’une grosse part de légende. Tout ce qui vient dans les lignes suivantes, à l’exception de la description physique du bonhomme, est donc sujet à caution. Michel, personnage très costaud et sans un poil sur le caillou doté d’un accent chantant, raconte qu’il a rencontré Jacquie à l’orée des années 1980, à San Francisco. Fils d’un photographe professionnel, Michel est alors en villégiature sur la côte ouest, chez un riche ami de papa, lui-même photographe. Le jour de son arrivée, il fait la connaissance d’une autre femme, Jackie, créature plantureuse aux formes exceptionnelles qui a pour particularité manifeste d’adorer se prélasser à poil sur les bords de la piscine de l’ami paternel. Aussi, comble du hasard, Jackie, oisive le jour, est stripeuse la nuit. Elle ne tarde pas à embringuer le jeune Michel avec elle. Moins de vingt-quatre heures après avoir posé ses valises, voilà notre timide Toulousain dans un club qui suinte le stupre, complètement dépossédé de ses moyens, son sexe dans la bouche d’une jeune fille au pair avec laquelle il n’a même pas encore échangé la moindre parole. La suite est si délicieuse qu’on ne peut s’empêcher de la reproduire ici.
« C’était magique. Aucune de mes petites étudiantes n’avait jamais pris un si grand soin de moi. Je n’avais toujours pas prononcé un mot. En étais-je seulement capable ? Le premier mot, ce fut elle qui le dit, après les trois ou quatre minutes qui lui avaient suffit pour parachever mon plaisir : “ C’est bon ! ” dit-elle en se léchant les babines. En français...?!
- Moi, c’est Jacquie ajouta-t-elle en plissant les yeux comme un chat.
- Djacky ? M’exclamai-je.
- Non, Jacquie, à la française. Ça a amusé Jackie qu’on s’appelle pareil ; c’est pour ça qu’elle m’a demandé de m’occuper de toi... »
La suite fait état d’un Michel un peu déçu lorsqu’il réalise que sa Jacquie est échangiste et ne lui est pas exclusive. Michel lui emboîte le pas. L’amour finit par faire son travail, et d’un commun accord, les deux quittent l’Amérique au bout d’un mois et partent vivre à Toulouse. Ils terminent leurs études, deviennent instituteurs et s’installent dans un petit pavillon de banlieue toulousaine. Ils font des enfants, délaissent le libertinage dans les années 1980, puis y reviennent la décennie suivante mais n’y trouvent pas leur compte. Trop raciste, trop cher, trop enclin à réduire la femme au rang d’objet qui fait tout pour garder son homme. Michel, angélique, rêve d’un libertinage où « la bourgeoise s’offrirait à l’ouvrier » et déplore qu’à la place, il est parfois « l’ultime bouée de secours dans un naufrage généralisé ». Et voilà que dans ce contexte un peu morose, sa planche de salut lui tombe dessus, comme ça, en pleine gueule, sans qu’il ne la voie venir. L’Éducation Nationale a le bon ton de lui payer une formation à la création de site Internet. Michel y prend goût instantanément, devient un autodidacte du Web et créé, enfin, le site – d’abord sans en parler à Jacquie – qui fera la gloire du couple.
VOILA
Derrière ce joyeux cirque au service d’une communauté qui a aujourd’hui explosé et se chiffre en millions d’ « internautes de Jacquie et Michel », il n’en est pas moins très compliqué de pénétrer dans l’univers de Jacquie et Michel. Les réalisateurs, au même titre que les acteurs professionnels, quand ils daignent répondre, opposent en général un expéditif « pas intéressés ». Pourtant, ce soir-là, au Showbiz de Condat-sur-Vienne, une belle brochette de ceux qui sont là pour représenter la marque en sont des acteurs centraux. Il y a là deux couples – Kim et Maceo ainsi que Margaux et Juan –, Daphnée, Lena, David – de la partie pour filmer la soirée – et enfin Cédric, réalisateur maison prolifique, venu pour encadrer tout ce petit monde. Kim, Daphnée, Lena, Margaux et Juan sont des figures très identifiées de la galaxie Jacquie et Michel. Le cumul des performances respectives de ces cinq-là atteint plusieurs dizaines de millions de visionnages. Débarqués de Marseille pour les uns, de Paris pour les autres, tous ont un rôle bien précis. En plus de s’enquiller des verres à un rythme plus qu’honorable, Juan et Maceo, deux énormes baraques au poil ras, tiennent le stand de produits dérivées qui contribuent à la renommée du label. Tee-shirts et lunettes à quinze balles, casquette à vingt, tout ce petit attirail griffé “Merci Jacquie et Michel” se vend à un rythme impressionnant. À quelques mètres de là, les quatre actrices s’entassent dans une minuscule loge bétonnée. Elles patientent en vue du show très charnel qu’elles donneront pendant de longues heures sur la piste, sous l’œil de David, personnage lunaire, qui n’en manquera pas une miette, caméra à l’épaule. Et pour compléter le tableau, dans la salle à côté, le public est déjà chauffé à blanc, subissant l’estocade répétée de l’insupportable DJ qui hurle en boucle « ALORS ON DIT MERCI QUI ? » Et le public de répondre en cœur à cette réplique que vous n’ignorerez plus jamais.
Avenant et sympathique, toujours à l’affût de la bonne blague ou prêt à partager « le bêtisier Jacquie et Michel 2013 », Cédric n’en a pas moins été biberonné au culte du secret. On a beau le travailler, tout juste consent-il à reconnaître que l’explosion du porno en ligne a effectivement bien servi au succès de la plateforme de son employeur. Adossé sur un petit muret à l’entrée de la discothèque, une clope à la bouche, il remise un peu la langue de bois au profit des mots crus pour étoffer sa pensée : « Le buzz de Jacquie et Michel est basé sur la petite salope qui s’assume et a envie de se faire sauter par son mec devant la caméra. Il y a beaucoup de libertins qui veulent passer le cap et qui viennent toquer à la porte de Jacquie et Michel. » La gentille Daphnée, l’œil qui pétille, les seins à l’air, en toute tranquillité, n’a pas pour autant sa langue dans sa poche. Elle propose une interprétation, là encore crue, mais teintée d’un fond de vérité. « Le succès de Jacquie et Michel, c’est simple. C’est la petite boulangère qui, la minute d’avant, vend sa baguette, et la minute d’après, se fait tringler. Voilà. » Voilà. On pourrait longuement épiloguer sur la foule de jeunes gens, portable en main, criant à gorge déployée devant les quatre actrices s’adonnant à des pratiques que la bonne morale et les militants de la Manif pour Tous répugnent. On en retiendra surtout que Jacquie et Michel a un public, et que foutre quatre meufs à poil se broutant le minou au milieu d’une boîte de nuit aura toujours autant de succès auprès d’un bataillon d’ivrognes à demi-puceaux, que peuvent en avoir ces vieilles désocialisées qui filent du pain à des pigeons dans les centres- villes. La vie est ainsi faite de vérités inaliénables. À cet instant avancé de la nuit, Quentin et Christopher ont un sourire non feint et les yeux brillants, sans que l’on ne sache si c’est la conséquence de l’alcool ou la joie de s’être fait chacun refiler un tee-shirt par Juan. Ce grand malabar aura poussé le vice jusqu’à signer un autographe au marqueur noir sur la poitrine de l’un et le bras de l’autre. Sans doute un peu des deux.
UNE PETITE PIÈCE, S’IL VOUS PLAÎT
Derrière le côté très détente et très assumé, Jacquie et Michel est devenu une grosse machine, loin des préceptes que Michel, fin limier, mettait en avant, au milieu des années 2000, à coups de citations de sociologues et d’analyse éclairante sur le libertinage en France. Si le site Jacquieetmichel.net, relique d’un webdesign d’un autre siècle, est toujours en ligne, c’est Jacquietmicheltv.net, dédié à la vidéo, qui est devenu le core business à partir de 2007. Michel et sa femme ont pris la mesure de la révolution qu’a été l’arrivée de l’ADSL dans les foyers, ouvrant la voie à la démocratisation de la vidéo en ligne. Aujourd’hui, le porno trusterait 30% de la bande passante mondiale. Des dizaines de sites comme YouPorn, PornHub ou Xhamster se placent parmi les cinq cents sites les plus visités au monde. Le plus important d’entre eux, Xvideos, flirte avec les cinq milliards de pages mensuelles et met trois têtes à CNN. La moyenne passée sur un site porno se situe autour des vingt minutes. Quatre à cinq fois celle des sites d’information. Et sans rivaliser pour autant avec les géants américains, Jacquie et Michel est devenue une petite machine de guerre. Mais cette mue ne s’est pas faite sans abandonner certains principes chers à la version originelle. À commencer par le sacerdoce de gratuité qui a volé en éclat. Car les vidéos sur le site Jacquie et Michel ne sont pas complètes. On donne un peu à manger à l’internaute, une interview en ouverture, un montage des « meilleurs moments » et une sortie avec la fille, parfois repeinte de foutre, qui conclue systématique par un charmant « Merci Jacquie et Michel ». Le tout autour des six, sept minutes. En revanche, pour avoir accès à l’intégralité de la vidéo, il faut dégainer la carte bleue et s’acquitter de la modique somme de deux euros. Pas grand chose, on en conviendra. Et histoire de pousser le consommateur à réussir à mettre la main au portefeuille – technique quand on a déjà le pantalon au niveau des chevilles –, on tire sur la corde sensible.
« Pour nous aider à faire face aux coûts énormes et assurer sa pérennité, nous vous demandons une participation symbolique pour la télécharger intégralement. Merci mille fois pour votre compréhension et votre soutien. Jacquie et Michel.»
Dans l’absolu, notre cher couple ne ment pas. D’après les chiffres obtenus, Jacquie et Michel disposent de soixante serveurs. Il faut aussi rémunérer la dizaine de personnes en CDI – principalement des techniciens – et payer les bureaux à Levallois. Cela dit, Jacquie et Michel est devenu une entreprise suffisamment prospère pour nourrir un vivier de plusieurs dizaines de personnes, parmi lesquels une petite vingtaine de réalisateurs-producteurs qui fournissent au moins une bonne moitié des quarante à soixante vidéos exclusives que le site publie chaque mois. Une réalité unique en France, là où chez Dorcel, on confie pouvoir faire difficilement plus de deux. Ce gap surprenant s’explique par des coûts de production qui n’ont rien à voir. Là où Dorcel se positionne sur un marché premium, Jacquie et Michel donne clairement le low cost. Yves, vieux complice des débuts de l’aventure Jacquie et Michel deuxième époque, connaît bien le fonctionnement interne. Alors qu’en 2007, le site se contentait de publier des sextapes amateurs des membres de la communauté, Yves a contribué aux côtés de Michel à la mise en place d’une production presque exclusivement maison. Fin connaisseur des dessous, il est l’un des rares – peut-être le seul – qui ne rechigne pas à lever un coin de voile sur l’affaire.« J’ai contacté Michel pour qu’ils produisent leurs propres vidéos, en 2008. En deux ans, j’ai dû faire plus de quatre cents vidéos pour lui. À l’époque, j’étais l’unique réalisateur, j’en produisais entre quinze et vingt par mois.» Longtemps prolifique, leur relation prend du plomb dans l’aile le jour où Yves demande plus de fric. « Michel achetait les vidéos à un prix ridicule. Une fille, c’est pas loin de 400 euros. À cela, tu ajoutes 100 euros de frais divers et, de temps à autres, des acteurs qu’il faut payer. Une vidéo te coûte environ 600 ou 700 euros. Et même divisé par deux, puisque je faisais deux vidéos avec chaque actrice, ça me coûtait 350 euros à produire. Michel me les achetait 500 euros. Si tu enlèves les frais de gestion de ta boîte, l’essence et compagnie, tu as à peine de quoi bouffer à la fin du mois.» Yves part alors vers d’autres horizons et Michel ne tarde pas à trouver la parade.
Lui qui jurait ne rien y connaître en 2006, recrute quelques zigues installés dans le milieu comme le réalisateur Jack Wood, Pascal de French Bukkake, Sabrina et Oliver de Sweet Prod, Rick Angel, et tout un tas d’autres noms qui ne vous disent probablement rien. L’aventure reprend alors de plus belle. Malin, Michel quadrille la France, trouve des réalisateurs dans tous les coins, et empoigne même la caméra à l’occasion. Pour ce qui est de se pourvoir en mecs, aucun problème. Le site reçoit quotidiennement cinquante demandes d’amateurs prêts à donner de leur personne gratuitement. Ils sont ajoutés à un fichier géographique et appelés à la rescousse à l’occasion, en guise de main d’œuvre bon marché. Le site bénéficie d’une notoriété telle qu’elle lui permet de faire tourner deux cents femmes par an qui contactent le duo en direct via le formulaire en évidence sur la page d’accueil. Parfois contre rémunération; dans certains cas aussi, en vue de réaliser des fantasmes qui ne peuvent rester inavoués plus longtemps. Mais cela ne suffit pas. Pour tourner les six cents films annuels, il faut toujours plus de femmes. Rabatteurs, annonces sur Internet, recrutement en clubs libertins, castings sauvages au Cap d’Agde, tout est permis. Et si Jacquie et Michel jouit d’un tel succès populaire, c’est aussi parce que le site a su imposer une patte. Parlez de « vidéos » ou de « scènes » à un type comme Cédric, et vous aurez le droit à une reprise de volée instantanée. « Chez Jacquie et Michel, on fait des reportages.» Des reportages, donc. Eh bien, parlons-en. Chaque vidéo de Jacquie et Michel s’ouvre par une mise en situation qui vous emmène dans la rue, dans un commerce, dans un club échangiste, dans la forêt... Et quand bien même ce n’est pas le cas, facteur inamovible, l’actrice est toujours interviewée. C’est une règle d’or. Ça ne vole pas toujours très haut, certains réalisateurs sont un peu plus finauds que d’autres, et on finit toujours par en arriver aux sacro-saintes questions: « Quand as-tu perdu ta virginité Cynthia ? », « Est-ce que tu aimes la sodomie Delphine ? », etc.
Cette manière de faire connaissance avec celle qui se fera nécessairement dézinguer quelques minutes – car oui, chez Jacquie et Michel, on ne pouponne pas les filles hein, on les « démonte », on les « défonce », on les « pilonne », on les « détruit » – confère un semblant de réalité aux vidéos. Celles-ci sont les héritières de l’époque où Michel demandait à ses couples libertins de laisser traîner des chaussettes au pied du lit. Le site de Jacquie et Michel cartonne parce qu’il donne à voir une réalité où le consommateur peut vraisemblablement tomber un jour sur sa voisine en ouvrant son navigateur. Jacquie et Michel sont devenus au porno ce que la PQR est à l’actualité, un média au plus près des préoccupations de ses consommateurs. Et tous ces détails, cette organisation, procèdent du succès financier de la plateforme, à laquelle on peut ajouter enfin que Jacquieetmicheltv.net n’est que la figure de proue de centaines de sites, dont certains récupèrent les vidéos de la maison mère pour les rééditorialiser et les mettre en vente ailleurs sur le Net. Si l’on ajoute à cela que Jacquie et Michel disposent de distributeurs, dont Dorcel, qui vendent là encore leurs vidéos sur d’autres plateformes, on peut en conclure que l’image du petit site qui quémande une petite pièce aux internautes pour payer le coût des serveurs a fait long feu. Aujourd’hui, le chiffre d’affaires de Jacquie et Michel oscillerait entre cinq et huit millions d’euros.
À L’ÉPREUVE DES FAITS
Marion, 23 ans, fait partie du contingent de milliers d’anonymes qui se sont frottées à la méthode Jacquie et Michel. Enfin, anonyme, pas tout à fait. En 2011, Marion a remporté le concours de Miss France Ronde. Pas exactement le rêve escompté ceci dit. La cérémonie est d’un faste que l’on qualifiera de modeste et sa robe ne la met pas exactement en valeur. Elle se fait même tirer des affaires dans les loges et le chèque de cent euros à la clé ne la console pas davantage. La déception digérée, elle prend son rôle à cœur un temps, mais l’enchaînement de neuf mois de désillusions a raison de sa patience. En parallèle, sa vie sentimentale se délite sur fond de problèmes financiers tellement extrêmes qu’elle finit par se retrouver à la rue. Libertine depuis quelques années, la solution de se tourner vers le porno lui paraît la plus évidente. Marion pense alors naturellement à Jacquie et Michel. « Ça peut paraître paradoxal mais c’était le seul site de porno français non gay que je connaissais. C’est une réalité, je pue le cul depuis que j’ai 14 ou 15 ans, alors je me suis dit qu’on allait s’en servir.» Marion les contacte via le formulaire et joue sur sa petite notoriété. C’est Cédric qui lui répond. Il la sonde et, convaincu de son envie, lui donne un rendez-vous à Paris dans un hôtel.
« On a bu une coupe de champagne et les acteurs se sont pointés petit à petit. Je ne pensais pas qu’il y en aurait autant. J’avais dit que j’étais “ OK ” pour trois ou quatre. Mais six, ils y sont allés fort. Je n’avais jamais autant baisé de mecs en même temps. Tout se joue dans la tête. Tu te mets en mode “ Je ne vais pas baiser dans un milieu libertin mais pour un public très large”. Ils m’ont mis vraiment très à l’aise en me disant que s’il y avait quelque chose que je ne voulais pas faire ou que si j’avais mal, on arrêtait direct. J’ai eu le sentiment qu’ils étaient vraiment à ma disposition.» Sans qu’elle ne formule des regrets pour autant, la suite lui laisse un goût un peu plus mitigé. « La scène a duré cinq heures et ça c’était horrible. Cinq heures ! Pendant trois jours, je n’ai plus bougé. J’étais bloquée psychologiquement et physiquement. On n’est pas fait pour baiser cinq heures. » Marion repart avec cent cinquante misérables euros et un passeport d’entrée dans le milieu. Pendant six mois, la jeune fille enchaîne les tournages. Pour le meilleur et pour le pire. Elle fait notamment l’expérience d’une vieille combine, quand un réalisateur prétexte l’absence d’un acteur prévu au programme pour se joindre à un tournage. La rencontre d’un nouveau fiancé la convainc d’avorter cet embryon de carrière. Pour autant, son expérience chez Jacquie et Michel ne tombe pas dans l’oubli. Quelques mois après ce tournage originel, un mec la reconnaît dans la cité où elle vient d’emménager. Forte tête, elle fait front et éteint les quolibets. Dans la communauté des femmes rondes, elle devient un sujet de discussions de forums, vilipendée, insultée ou louée. Un mec lui écrit même pour lui dire que sa femme s’accepte mieux grâce à cette vidéo, que cela a transformé leur vie sexuelle. Et au rang des bonnes surprises, un ancien playboy du lycée, qui la snobait, la contacte même sur Facebook pour lui dire qu’il a « kiffé ». La tête sur les épaules, Marion tire un constat sans faux-semblants de son expérience. « Je ne veux pas faire de la psychologie de comptoir, mais beaucoup de filles comme moi font ça pour combler un manque, parce que l’on est pas si bien que ça. Elles essaient de vivre à travers leur sexualité. Je l’ai fait pour vivre et pour manger mais le porno n’en est pas moins une forme de prostitution.»
Si l’expérience de Marion tient de l’accident de parcours, d’autres vont chez Jacquie et Michel comme on s’en va dans un bureau de la Légion étrangère, conscientes de ce qui les attend. C’est le cas de Missy Charme, une infirmière qui a décidé de devenir actrice pour s’occuper d’un autre genre de petits bobos. Libertine et exhibitionniste, elle est repérée sur les réseaux par le magazine Hot Vidéo et ne tarde pas à être intronisée « amatrice du mois ». Sollicitée dans la foulée par Oliver de Sweet Prod, l’un des fournisseurs de Jacquie et Michel, elle se laisse tenter et vit plutôt bien la chose. « J’ai été reçue de la meilleure des façons. Sabrina Sweet [l’associée d’Oliver, ndlr] m’a vraiment chouchoutée. Lors du tournage, ils m’ont bien expliqué que rien n’était forcé et qu’il fallait que je prenne du plaisir...» Missy choisit même les conditions et découvre les joies des scènes sauvages amateurs. « J’avais décidé de tourner en forêt car j’adore la nature. Ça s’est bien passé sauf qu’on a été surpris lors de la première scène par un centre aéré et par les gendarmes pour la seconde. Pour le coup, niveau exhib’ et sensation, j’ai été servie.» Cette quête d’hédonisme lui vaut dans la foulée de travailler pour différentes productions francophones et, un peu dans un remake du Retour de l’enfant prodigue, Missy décide même – fait extrêmement rare – de tourner une nouvelle fois pour le compte du couple du Sud-Ouest. Cette fois, elle a le droit à des honneurs dont peu peuvent se vanter. « Ma troisième scène pour Jacquie et Michel, je l’ai négociée avec Michel en direct. Il m’a personnellement filmé dans un grand appartement luxueux parisien. J’étais désireuse de lui montrer mon évolution, mon changement physique et mon caractère. C’était la première fois que je le rencontrais et j’étais impressionnée. Je peux vous dire, en toute honnêteté, que très peu ont su me mettre à l’aise comme lui. Il est d’une simplicité et d’un respect dont beaucoup dans le porno devraient s’inspirer.»
Ce qui est assez délirant à ce niveau, c’est que la scène en question témoigne de ce dont on a peu parlé jusque là, de ce qu’il y a pourtant de plus infâme chez Jacquie et Michel, à savoir la manière dont les femmes sont traitées à l’image. D’un point de vue pragmatique, on pourrait arguer, certes, que c’est là une des raisons intrinsèques du succès du site. Les femmes y sont réduites à l’état d’objet que l’on souille sans vergogne. Chez Jacquie et Michel, la femme est toujours assimilée à une girl next door, soit une voisine au potentiel sexuel que l’on ne soupçonne pas au premier regard et qui a ici la particularité d’être assoiffée de débauche. Ce concept, Michel le théorisait dans son livre dès 2006 avec beaucoup de justesse, mais dans une optique autrement plus respectueuse. Aujourd’hui, chez Jacquie et Michel, la femme est institutionnalisée dans le rôle de la salope toujours en demande de plus de bites, de plus de performance, de plus de dilatation, comme si à la libération sexuelle des années 1970 avait succédé l’âge de l’explosion de tous les records sexuels, une ère où la double pénétration serait la norme et où le joug patriarcal jouerait plus que jamais à plein dans les relations charnelles. Intelligente, Missy a bien pigé les ressorts de la réussite de Jacquie et Michel. « Le site répond à une demande. Qui n’a jamais fantasmé sur sa voisine quand elle sort le samedi soir en tenue sexy pour aller à un simple dîner, et s’imagine les choses les plus folles ? Bah, Jacquie et Michel donnent juste la possibilité aux coquins et coquines de France de s’exhiber, de vivre leurs fantasmes, sans avoir à passer par des castings où tu peux te faire jeter pour diverses raisons.» L’analyse est juste et les multiples témoignages s’accordent sur le fait que les réalisateurs sont généralement très respectueux quand la caméra et les sexes sont au repos. Mais à ce rationalisme, on ne peut s’empêcher d’opposer la réalité de la scène dans le fameux appartement luxueux parisien évoquée plus haut. Missy, en début de scène raconte qu’elle est venue pour entreprendre des trucs plus hardcore qu’à l’accoutumée, appelons un chat un chat, une double anale qu’elle a déjà « tentée » mais jamais réussie. Tout le long de cette scène intitulée « Sexe très extrême pour l’infirmière ! », Michel, derrière la caméra, s’adresse à Missy, seule à l’écran. Elle est vêtue d’un ensemble noir soutien gorge et porte-jarretelles, assise sur un canapé de cuir précautionneusement recouvert d’un drap rouge pastel. Michel la salue, rappelle qu’elle a déjà tourné pour eux et ne tarde pas à enchaîner, la voix calme, l’accent qui chante.
« - Elle a des fesses fabuleuses. Je vais me rapprocher un petit peu. Tu es déjà sans culotte.
- Ça me gêne, lui répond-elle d’un ton pince-sans-rire, le regard droit, plein de défiance.
- On peut te dire que tu es une salope? »
Elle, assurée : « - Oui
- Une grosse salope ?
- Une grosse.
- Une grosse chienne ? »
Un type hors champ intervient : « Une grosse, non. »
Missy rigole. Michel reprend : « Non, pas une grosse. Mais une grosse chienne.
- Oui.
- On peut te dire tous les mots crus que l’on veut, quoi ?
- Pas de souci.
- Une grosse pute ?
- Hmmm... répond-elle alors, en faisant la moue.
- Ça moins, rétorque alors Michel, en appuyant le “s” de cette manière si caractéristique des gens du Sud.
- Moins.»
La caméra s’approche alors, détaille l’ex-infirmière de haut en bas, vient se fixer sur les seins, puis sur la vulve, à l’air libre. Michel reprend de plus belle :
« - Chatte épilée. Bon ben, c’est à la mode. Je sais que tous nos internautes n’aiment pas ça. Certains aiment le poil. Tu te retournes, que l’on voit tes fesses.»
Elle s’exécute.
« - Penche-toi vers l’avant. S’il te plaît. Tu écartes un petit peu. Tu peux écarter un peu plus en te penchant. Donc cet anus, il a jamais pris deux bites ?
- Non.
- Bon, bah, ça va pas tarder alors ! »
Plus tard, alors que deux types sont sur elles, l’un des deux l’étrangle sans ménagement et lui assène alors sans tact : « Dis-le que t’es une grosse salope ! » Et elle de répondre « Je suis une grosse salope. » « De qui ? » « De Jacquie et Michel. D’ailleurs, merci. » Imparable. Oh, bien sûr, cela est le lot du commun de la pornographie, il existe des horreurs bien pires en la matière et ce texte n’a vocation à faire le procès de qui, ni de quoi que ce soit. Jacquie et Michel répond effectivement à une demande, et en matière de libéralisme, celui qui n’a pas les couilles pour bouffer ses concurrents finit dans la panse de l’autre. Mais toutes les actrices ne prennent pas leur expérience avec autant de philosophie.
Anna, après un événement extrêmement traumatisant, a tenté d’exorciser ses démons en tournant dans un « reportage » de Jacquie et Michel. Sans le sou, recluse chez elle, elle répond à une annonce de casting pour porno amateur sur Vivastreet, envoie quelques photos comme convenu et débarque sans savoir pour qui elle va tourner. À son arrivée, elle est choquée qu’on ne lui demande ni ne lui présente de test, mais c’est légal, il n’y a aucune obligation en la matière en France. Néanmoins, c’est la brutalité qu’elle subit sur le tournage qui la marque durablement. « À aucun moment, ils ne te précisent que tu te prends des claques dans la gueule. Tu te fais traiter comme un objet et c’est salement banal pour eux.» Et la jeune fille n’est pas au bout de ses peines. Elle a beau enquiller joint sur joint et Xanax sur Xanax, cela ne refroidit guère le réalisateur. Après les deux scènes initiales, il la convainc d’en tourner deux supplémentaires et fait sauter les verrous qu’elle s’était fixés en terme de pratiques. Aussi télécommandé soit-il – « Allez, 800 euros en une semaine, quand même, c’est pas mal. » –, l’argument-clé du réalisateur fait mouche. Ce qui attend Anna derrière n’est pas pour arranger son sentiment. « On a tourné une scène sur une plage naturiste. C’est basique, mais au final, je me suis fait secouer dans tous les sens. Il y a même un mec qui est venu mater et qui se branlait. Et les gars de Jacquie et Michel, eux, se marraient. » Et la jeune fille, à peine 20 ans aujourd’hui, n’est pas au bout de ses peines. « Le discours du mec c’était : “ C’est du porno mais c’est du spectacle. Donc, tu fermes ta gueule et tu souris. Par contre, si t’as besoin d’une pause, n’hésite pas. On s’arrête, tu fumes une clope et on reprend.” Ça te rassure un peu quand on te dit ça. Et donc, on était en pleine scène et, à un moment, le mec me faisait super mal. Je leur ai dit : “ Là ça ne va pas, il faut qu’on s’arrête.” Leur réponse a été : “ Attends, tu as vu le temps qu’on a mis à installer tous les trucs ? Il faut qu’on finisse là, on a des trucs à faire cet après-midi. ” Et là, tu as trois mecs qui te mettent la pression. Alors t’enquilles et tu fermes ta gueule. Tu fais abstraction. Tu te dissocies. Tu es là mais tu n’es pas là. J’ai été vachement choquée en voyant cette vidéo, j’avais la gueule déformée par la douleur. Je grimaçais, c’était horrible à voir. Me dire qu’il y a des mecs qui se sont branlés là-dessus, ça me met mal. J’ai pris trop cher. Je suis sortie du tournage avec des hématomes comme jamais je n’en avais eus.» Après une période où elle a continué à vivre de son corps, mais en se contentant de faire des shows par webcam, Anna a fini par sortir de cet univers mais se dit « marquée au fer rouge » par cette expérience. En complément de ce que Marion pouvait dire à l’autre bout de la France, cette petite brune voit les métiers du sexe comme une forme de déni de soi. Elle raconte qu’il lui est même arrivé de dire à des amis qu’elle avait bien vécu ces tournages. Par fierté. Pour cette rejetone d’une génération biberonnée au porno et souvent dans des déclinaisons très hardcore, la popularité croissante de l’expression « Merci Jacquie et Michel» reste comme une cicatrice sur laquelle on presserait un citron à chaque fois qu’elle l’entend. « On te force à répéter plein de fois “ Merci Jacquie et Michel ”, on te réduit à l’état de femme-sandwich. Ce qui m’a choqué par rapport à ce watermark sonore, c’est qu’ils me mettaient des baffes en me disant : “Vas-y, dis merci Jacquie et Michel ! Dis merci Jacquie et Michel ! ” À la fin, j’étais un petit robot et toutes les trois secondes, je répétais ça en boucle.»
QUI SONT VRAIMENT JACQUIE ET MICHEL ?
Si la minutie du dispositif commercial et du positionnement marketing de l’édifice est à la hauteur des haut-le-cœur que peuvent filer certains dessous, reste à ce stade à élucider une question encore en suspens : qui sont vraiment Jacquie et Michel ? Si Michel existe pour sûr, lui mettre la main dessus s’avère compliqué. On le dit tiraillé entre l’envie de lumière et la volonté de préserver son anonymat. Aussi, à force d’harceler tout ce qu’il compte de collaborateurs pendant un mois, un samedi matin, le téléphone a fini par sonner. « Bonjour, c’est Michel de Jacquie et Michel. Rappelez si vous voulez.» Le personnage est fidèle à l’image que ceux qui l’ont pratiqué en donnent. Un type qui sait se montrer charmant un instant et peut vous menacer d’un procès la seconde suivante. Mais le gaillard a le mérite de n’éluder aucune question. Michel a tendance à être un peu à cran quand on lui parle du milieu, persuadé d’être victime d’une « cabale ». Pas complètement faux dans le sens où beaucoup d’actrices professionnelles refusent de travailler pour son site, l’obligeant selon lui « à ne devoir tourner qu’avec des débutantes », même si les budgets low cost de ses productions jouent pour beaucoup. Le succès de son site agace dans un milieu bien plus réactionnaire qu’il n’y paraît, où les nouveaux ne sont clairement pas les bienvenus. Contrairement à pas mal de glands qui se prennent pour les rois du French porn, Michel ne manie pas la langue de bois. « On est sortis de nulle part. Quand j’ai commencé à produire, je n’y connaissais rien. Je n’avais pratiquement jamais vu de films porno, sauf peut-être le Canal du samedi, mais ça ne m’intéressait pas. Je trouvais que c’était des scénarios indigents, stupides. Un film scénarisé, je ne peux pas le regarder, je trouve ça trop con, ça n’a aucun intérêt. Nous, on aime bien faire des vidéos qui ressemblent un peu à l’émission Strip-Tease sur France 3. Notre succès a rendu les pros hyper jaloux. Et comme ils sont tous en train de se casser la gueule à part Dorcel, ils sont encore plus jaloux. J’ai du respect pour quatre ou cinq boîtes qui tiennent la route en France. Tout le reste, c’est des petits réalisateurs qui font ça pour avoir une vie sexuelle, pour se taper des gonzesses. La plupart du temps, ils ne savent même pas filmer et rendent des trucs dégueulasses.» Reste qu’il y a un point sur lequel on ne s’entendra pas : la question féminine. Persuadé du bien-fondé de sa démarche, Michel, là-dessus, n’en démord pas, et on peinerait presque à l’écouter s’enfoncer, lui le prof intelligent, lorsqu’il tente de vendre sa saucisse tant bien que mal. « Elle n’en a pas l’air mais la femme est respectée. Souvent, c’est un plaisir pour elle. Ça ne veut pas dire que ça correspond à nos goûts, à moi et mon épouse. On est tolérants, il y a des mecs qui jouent sur le mépris de la femme. On a des réalisateurs qui jouent là-dessus mais c’est au second degré souvent. Les mots crus font partie de l’excitation sexuelle. » Alors ce serait purement marketing ? « Tout à fait. Voilà. Il m’est arrivé de produire moi-même, de vouvoyer une nana. Mais au moment de la scène, je lui disais : “ Salope, grosse pute ”. La scène finie, on revenait au vouvoiement. Ça n’apparaît pas à la caméra, c’est comme ça. C’est un jeu, un jeu de rôles.» Et les tartes dans la gueule? Les exhortations à gueuler « Merci Jacquie et Michel » ? L’image dégradée de la femme érigée en ligne de conduite ? Un jeu de rôle aussi ? « L’idée que l’on dégrade la femme, je ne suis pas d’accord. Il y a la pudeur d’extrême droite et le féminisme de gauche qui ne nous apprécient pas. Mais les tartes dans la gueule, ce sont les filles qui aiment ça ! C’est du SM. Il y a une sorte de domination avec les tartes dans la gueule ou une tarte sur le cul...» Si tant est qu’on soit consentant. Si l’on ne peut pas en dire autant de tous ses réalisateurs, Michel, dans le fond, n’est probablement pas un mauvais bougre, juste un mec qui a passé trop longtemps la tête dans des images qui finissent par vous désaxer un peu un compas moral. « Queutard », « mégalo », « exigeant », « farouche travailleur», capable d’exhorter un réalisateur à être plus « porc », Michel est aussi un type qui chérit son anonymat et tient résolument à ce que son identité reste secrète. Demeurait toutefois un dernier mystère à percer : qui est donc Jacquie ? Une fois n’est pas coutume, Michel est peu bavard sur la question. Quand on le pousse et qu’on lui demande si elle existe vraiment, la réponse se fait trébuchante. « Mon épouse ? Des gens l’ont vue mais elle ne se montre pas beaucoup. On gère le business à deux. Tout ce qui est comptabilité, papiers, c’est elle qui s’en occupe. Il lui arrive aussi de venir assez souvent sur les tournages.» La réalité est un peu plus épineuse. Sous couvert d’anonymat, un type qui connaît bien Michel lâche d’un air désabusé : « Laisse tomber, tu n’auras jamais rien là-dessus. C’est la femme de Michel et personne ne sait ce qu’elle fait dans son coin. Il y a beaucoup de protection. Je ne la connais pas et personne ne la connaît. Je crois que personne ne l’a jamais vue.» Ce long mois d’enquête aura presque été vain de ce côté-là. À une exception notable. Michel est bien marié. Mais sa femme ne s’appelle pas Jacquie.
PAR LOÏC H. RECHI - PHOTOS PAR PAUL ARNAUD
Article initialement publié dans le numéro 21 de Snatch, en mars 2014.